Le sens des mots
Les mots comme une vague par temps de tempête déversent au dehors les cris qui viennent de l’intérieur. Les vérités qui tournaient en rond dans la tête s’évadent pour exister. C’est une évasion salvatrice pour le maton qu’est l’écrivain, car il peut laisser filer sa pensée. Ecrire les tribulations d’un mental en ébullition n’est pas chose facile. Il faut plonger dans le magma de sa perception du monde. La matérialisation de l’intellect nécessite un engagement qui n’est pas anodin. L’intime est sommé de sortir du placard. Le défi est de taille, partir de la transdescendance vers le « nous ». C’est se jeter en alpiniste de l’extrême corps et âme dans l’escalade de la transcendance. C’est intense donc il faut de la méthode et du travail. Le combustible c’est le vocabulaire. Oui, le choix du terme est primordial. Il doit être assemblé non seulement à un autre, mais doit surtout enfanter une idée. C’est une opération délicate et qui consiste à se dire à l’autre au présent. Se dévoiler et s’affirmer comme un chercheur de vérités.
Je ne parle pas d’un spectacle encore moins d’être en représentation. Le choix des mots n’a qu’une fonction, celle de servir au mieux la totalité de ma réflexion. Que le lecteur peine dans la lecture n’est que justice, l’effort est le pain quotidien de celui qui produit. L’usage du dictionnaire ne doit pas être perçu comme une obstruction. Plutôt comme une invitation à l’adoption d’un vocable qui va enrichir votre intrinsèque. La définition d’un mot n’est pas le substitut d’un autre. Il faut que le sens premier soit pris en compte afin que l’identité soit respectée. Découvrir le sens réel d’un mot est un cadeau précieux que vous garderez toute une vie. De plus l’intention est que l’idée exprimée colle au plus juste et pénètre l’intérieur de ceux qui sont au contact. La digestion reste propre au récepteur sachant que la finalité se veut être un échange bilatéral. L’indigestion est permise voir souhaitée pour l’émetteur, car il est si facile de se tromper. C’est en somme, une proposition faite à l’homme qui s’interroge.
L’artisan ou l’ouvrier du mot doit apprendre à maitriser les techniques et les outils que sont la phonétique, la sémantique, la syntaxe, la logique, la rhétorique, la philologie, sans oublier la métrique, la prosodie et l'étymologie. Cependant, il y a bien plus important, il faut produire de l’authentique ou du vrai. On doit faire corps avec le mot, le porter et lui donner un vécu. Sinon on court le risque de le vider de sa substance et de son réel à l’échelle humaine. En fait, il doit évoquer chez le lecteur un réel ou une expérience. Parfois, il doit troubler la conscience pour que l’inconscient se manifeste. Mettre en éveil la curiosité et ébranler les certitudes. Il doit provoquer en duel les croyances. Il doit pouvoir dégrossir les doutes. Au-delà de l’esthétique du texte, il faut forer pour que l’intelligible émerge et inonde le sensible. Le cœur et ses sens doivent être interpellés afin qu’on puisse parler d’une transmission. On peut même parler ici d’un passage de témoin pour que la pensée humaine s’enrichisse.
Pour ma part, je suis comme un compositeur qui arrange les mots comme des notes. L’harmonie et la beauté doivent être au rendez-vous. Tandis que la musique doit refléter une réflexion parfois simple tantôt polysémique. L’intention est de pouvoir être lu, relu et faire découvrir à chaque fois une nouvelle interprétation. Prétention diront certains, non je suis l’apprenti qui exprime la finalité de son effort. Oui, pour l’artiste que je suis les mots sont ma matière première, mais l’esprit humain est ma destination. En fait je raconte souvent le contenu d’entrevues qui concernent trois hommes. L’homme que je suis, l’homme que je ne suis pas et l’homme que je rêve d’être. Je suis l’homme qui piste l’homme pour mieux comprendre le monde. Je mets ma force créatrice au service de l’homme comme d’autres on fait avant moi et j’invite mon prochain en faire autant. Le mot nous conte la vie et les hommes, sans lui pas de vérités énoncées ni partagées.
Parfois dans cet opéra que j’écris et que je produis. J’attends le plus grand nombre, mais sans stresse. En ennemi de la paresse, je compose sans penser aux capacités cérébrales de chacun. Je suis le maquisard qui terrorise la pensée molle ou formatée. Le mot est ma nitroglycérine donc mon arme de destruction massive. Je n’invente pas les mots, je leur donne une vie qui incombe à chacun d’accueillir dans son vocabulaire. Je suis l’étranger, le « sans-papiers » dans un monde de lobotomisés. Aujourd’hui plus que jamais les mots sont brutalisés, ils sont comme des réfugiés politiques. Il est de votre devoir de faire de votre cerveau une terre d’asile ou d’accueil. Je suis le politique qui agit pour une pensée libre.