La permanence de l’ignorance

par Hugues COTE  -  8 Juillet 2011, 16:28

J'ai tenté en vain de me débarrasser de l'ignorance que je trimbale depuis toujours.  Au début, je pensais que mon ignorance était le fruit du destin.  Enfant on m'avait souvent répété que mon avenir était scellé au néant.  Adolescent l'inconnu me jugeait incongru et au devenir flou.  Quant à mes accointances elles étaient perplexes tant l'animal était indiscernable.  En somme j'étais pour beaucoup et trop tôt un ignorant qui s'ignorait.  J'avais même réussi à ignorer la souffrance que les mots et les regards infligés avaient causée.  Etais-je à l'époque un autiste ou seulement distrait ? Ou encore l'imbécile heureux profitant d'une bulle imaginaire comme ultime refuge ? A vrai dire je ne saurais dire et peu importe. Un jour tel que frappé par la foudre, j'ai compris qu'il fallait que j'ouvre les yeux. Il fallait immigrer dans le réel, quitter le pays de mon enfance qui avait su me protéger de la méchanceté humaine.

 

C’est à ce moment que j’ai rencontré et fait la connaissance de dame ignorance.  La gifle émotionnelle a été d’une violence inouïe.  Pour la première fois, je pouvais donner une définition humaine au mot injustice.  J’avais pleuré sans savoir dans le passé, pour une fois je sanglotais parce que mon ignorance s’était assoupie.  J’ai compris ce jour-là, que plus jamais je ne voyagerais dans la vie sans solitude.  J’étais le survivant qui venait de comprendre la valeur de l’instant présent.  La maltraitance physique et psychologique n’avait pas atteint son but puisque je l’avais inexploré.  Mon indifférence à la malveillance gratuite m’a permis d’échanger avec cette chose immatérielle.  Bien évidemment un dialogue de sourd au début tant la conscience devait digérer les tristes vérités.  Le sang était chaud, les sens étaient en ébullition et l’âme était hagarde.  Normal, le gilet pare balle venait d’être retiré, mais les impacts des balles avaient été violemment encaissés par le dedans.

     

Par ailleurs, la décision de prendre ses distances avec l’inconnue n’a pas tardé.  Il fallait s’intégrer à tout prix dans mon nouveau pays d’adoption.  Pas facile de plonger corps et âme dans une réalité qui n’est pas belle.  Un monde Kafkaïen où l’homme ment à l’autre et n’hésite pas à pousser le vice à se mentir à lui-même.  En fait contrairement aux autres, les touristes de la vie, j’avais vécu les réalités locales.  Les masques étaient tombés et les illusions avaient foutu le camp.  Malgré le retard accumulé, l’objectif était clair m’éloigner à tout prix d’elle.  Je partais de très loin et je ne savais pas où j’allais.  L’écriture du sentiment n’était pas possible puisque j’écrivais les sons.  J’étais un illettré qui savait juste lire.  Du coup, j’ai commencé à consommer tout ce qui pouvait engendrer de la lecture.  L’ignorance tapie dans l’ombre de mon intime observait, tandis que mon entourage se gaussait de voir un nigaud se débattre.

 

J’étais celui qui se noyait dans le sens des mots, mais pour rien au monde j’allais abandonner.  Ce spectacle semblait amuser la dame qui de temps en temps me faisait des clins d’œil.  Alors que je cherchais et que je bêchais ma relation avec elle changeait.  Elle n’était plus mon ennemie, mais une amie à qui je n’osai pas déclarer mon amitié.  L’illettrisme vaincu et l’intégration opérée, je me suis apaisé.  J’ai accepté de voir le monde tel qu’il est.  A mes tourmenteurs j’ai accordé un pardon qui s’est avéré plus salvateur pour moi que pour eux.  Constater que ma vie mettait de la distance avec le néant est un grand mal insupportable pour eux.  Pendant ce temps, j’ai déclaré ma flamme à l’ignorance et nous sommes devenus des amis intimes.  De toute façon je savais qu’elle était là au commencement et qu’elle sera à la jusqu’à la fin.  Autant en faire une connaissance qui nous rappelle parfois qu’on sait trop peu de choses.  L’ignorance est la semence qui fait de nous de modestes quêteurs de vérités.    

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