La fragilité de l’être
Nul besoin d’être un philosophe pour affirmer que l’homme est fragile. En postulat, je rajouterais que nous sommes tous fragiles. Pourtant, nous avons tous du mal à l’accepter parce que c’est un signe d’asthénie. Dans un monde où la force est la norme, il n’est pas bon d’être fébrile. Dans la société du paraître, tout le monde est dans la dissimulation. On est tous atteint du syndrome de la carapace. Notre intériorité est frappée du sceau « secret défense ». Ce qui est un paradoxe, car on n’est pas du tout fait à l’image de la tortue. Pourtant, de nos jours les contours de nos humanités ne doivent surtout pas être mis en avant. Notre tout doit être décortiqué pour n’offrir que des morceaux choisis de personnalités aux autres. Un logiciel psychique de type « Photoshop » est constamment utilisé pour corriger les imperfections. Oui, le sujet doit être parfait quel que soit l’interlocuteur. Le repli sur soi est dicté et la solitude devient un pseudo havre de paix. On porte jour et nuit une armure qui sert de ligne de démarcation avec le réel de nos sentiments et nos mensonges. Délibérément on mutile son dedans pour que son dehors émerge sous une fausse identité. On en est réduit à avoir peur de ce qui fait notre singularité. La beauté de ce trésor que chacun de nous portent en lui est contrainte à la résidence surveillée. Peu à peu on devient des phobiques en puissance.
La lumière de notre personnalité est artificiellement tamisée par l’ombre des interdits factices. Dans un délire collectif ou sous hallucinogène, on se pense surhomme. On est dans l’inquisition permanente, car l’esprit est embrouillé. Les conséquences sont désastreuses pour le psychisme. Non seulement on fausse tout, mais on se déshumanise. L’homme devient un mythomane. Peu importe votre culture, votre théogonie ou vos cosmogonies puisqu’il faut prétendre à profusion. Chacun se sent obligés de créer son ordre des choses et ses divinités. Il va jusqu’à devenir un créateur de mythe. Une mythologie qui n’a de valeur que l’ampleur de sa propre mythomanie. Les échanges sont souillés par les faux semblants et les prétextes. La vie privée est évoquée comme bouclier à toute tentative d’approfondissement de rapports équilibrés. L’expression de ses ressenties est un péché, le souffre de la culpabilité est omniprésent dans l’air. On devient présumé coupable de tout, même aimer. Ce qui est un comble quand on connait l’enclin de l’homme pour l’amour. Le dénie est l’antidote prôné tandis que la souffrance foisonne comme un effet secondaire destructeur. Une instabilité psychique en découle qu’on compense avec une foi de pacotille. La croyance devient la soupape de sécurité qui empêche l’implosion quand la dépression guette. L’ascétisme ni l’auto flagellation n’ont pas lieu ici ou du moins ne sont pas d’un grand secours, car on parle ici de nature humaine. Force, amour et sagesse n’aurait pas de sens si notre fragilité n’était pas mise à l’épreuve.
On encourage la résistance à l’autre alors que c’est un acte contre nature. La fragilité qu’on voulait vaincre devient le talon d’Achille qui fait de l’homme debout, un être chancelant. La confusion règne au-dedans, tandis qu’au dehors l’orgueil atteint son paroxysme. Au point d’en faire une normalité qui nous éloigne les uns des autres. On ne laisse pas son prochain nous reconnaitre, en espérant que par miracle il devinera. Voici à quoi nous sommes réduits. Certes dite de façon péremptoire et brutale. Mais combien de fois on torture et opprime notre dedans ? Tout simplement par peur de la vie et de son semblable. N’est-ce pas un gâchis incommensurable de ne pas offrir sa totalité à la vie et au monde ? Cette vie qui est un voyage sans retour ne mérite-t-elle pas qu’on soi soi-même ? Au juste de quoi est fait nos appréhensions ? Que celui-là ou celle-ci abuse ou profite de nous ? Aussi on choisit de se châtier sans commune mesure. Etre entier est aussi logique et de bons sens qu’être debout et en mouvement. C’est être un engagé de la vie. Pourquoi attendre de la personne d’en face qu’elle vous montre le chemin, alors que vous êtes en capacité de l’éclairer ? A force de calculer on devient des mathématiciens fous incapable de comprendre que le monde est un. Imaginer les possibilités que serait l’offrande de nos touts au monde. Le nirvana ne serait plus une fiction, j’en viens en sourire quand j’y pense. C’est un truc de dingue. Une pure folie qui réglerait nos pas sur le chemin de l’universalisme tout en action. Au fond, on n’est pas si différent des uns et des autres et le nier jusqu’à présent ne nous a pas réussis. Cette petite fragilité est la pierre angulaire de notre tout. Elle est le lien au secret de la vie, ce cours d’eau où sensible et intelligible s’abreuvent. Cette fragilité est la quintessence de notre valeur réelle, car on est tous bien peu de choses. L’asphyxier comme on le fait s’est se cacher de soi et par ricochet de l’autre.
L’expression de sa fragilité est la révélation que l’homme est imparfait. Mais au combien perfectible garantissant ainsi la possibilité de générations meilleures. L’homme n’est ni un loup, encore moins un solitaire, mais juste un homme en devenir.