L’illusion du réel
Que celui qui est capable de définir le réel lève la main. Comment parler d’un instant sans glisser dans le commentaire des apparences ? Le vécu est souvent imaginaire tant le moment est insaisissable. L’instant est furtif, éphémère aussitôt présent qu’il est déjà remplacé par un autre temps. Avoir conscience d’un instant c’est renier l’imminence de son présent. Il est difficile de faire abstraction de la vie et des influences extérieures qui parasitent nos existences. Par ailleurs, la conscience de l'instant demande une réflexion à posteriori qui fausse la démarche. Le temps ne peut pas être pensé et encore moins dompté. La musique de la vie se joue sans partition. Le solfège d'une réalité immédiate n'existe pas. Les réminiscences entachent le réel d'une existence recomposée. Dans l'histoire d'une seconde, la vérité est écrite par le vainqueur qui vit la seconde d'après. Du coup, on réécrit forcément sans cesse l'histoire en s'appuyant sur un imaginaire fécond. L'appréhension du passé est toujours marquée par une recomposition consciente qui évacue la véracité d’un inconscient délesté. On pêche parce que l'incapacité de saisir l'instant est inavouable et proscrit. Comment avouer notre seuil d'incompétence à comprendre et saisir le réel à son firmament ?
L'instant déjoue notre intelligence et affiche son indépendance. L’illusion du réel est conditionnée par notre parcours psychique et socioculturel. On est bien souvent dans le dénie, on ne veut voir que ce que l’on veut regarder. La totalité de l’être est impliquée dans le processus de manipulation d’une réalité qu’on monte de toute pièce. On croit croire qu’on est en éveil alors qu’on est la plupart du temps distrait ou ailleurs. Il est difficile d’admettre après réflexion qu’on est des faussaires. On phosphore un réel arrangeant et on le distille. La vérité devient subjective et fourmille de contradictions. L’ego aidant la fragilité de l’être est niée et le mimétisme encouragé. La vérité du moment est meurtrie par notre incapacité à appréhender les choses dans leur absolu. L'illusion est instrumentalisée pour combler nos lacunes à saisir le véritable sens de nos actions. Pourtant, la vérité n’a que faire de nos états d'âmes et n’a nul besoin d’être validée. Elle ignore nos délires et nos lots de constructions infantiles. On est sans cesse en train de réécrire nos biographies. On ne ment pas qu’aux autres, mais surtout à soi-même. On est des adeptes de la projection à outrance et des jeux de rôles. Des bipolaires qui s’ignorent. Aussi il est compréhensible que la pauvreté de notre honnêteté ne soit pas exposée sur la place publique. Les intimes ne doivent pas quitter leurs corps. Il faut cacher et protéger son intériorité à tout prix.
Ne pas savoir n'est pas un crime, mais l’avouer est impardonnable. La carapace de nos existences ne doit pas être fissurée. Le mensonge nourrit la constance d'un instant insaisissable. La lumière de nos dedans doit rester tamisée pour que le mystère de notre humanité plane. Notre sensibilité doit être déguisée pour être imperméable aux ressenties. Comme les ombres chinoises elle ne doit apparaître que pour prétendre. Convaincre l'autre devient le saint graal voir le but ultime. On est des farceurs qui tournent en rond dans la cage de l’orgueil. On donne l'impression d'être aussi libre que l'air, alors qu'on croule sous le poids de l'impuissance. On attise le feu de l'illusion comme un forgeron qui bat le fer sous le feu des attentes. On anticipe parce qu'on croit lire les pensées de l'autre. L’inconnu est fait juge de nos actions. Pourtant, bien souvent il est à mille lieux de notre pensée bancale. Comble du paradoxe on quête l'approbation de quelqu'un qui lui-même est souffrance. On est des assoiffés de la vérité marchant dans le désert de notre imbécilité. Au final on assiste à un duel de perplexes ou de zozo qui prétendent avoir compris quelque chose. Triste destin que nous favorisons avec une frénétique sagacité. On est des aliénés qui se pensent malins. Ensemble on produit une symphonie névrotique qui n’a aucune harmonie. On danse sans se soucier d'écouter les sons malfaisants qu'on partage avec conviction. C'est une affaire de dupes. On est tous dans le même bain, nous formons une belle association de malfaiteurs. On ment, fabule et spécule au fil du temps. On est bloqué dans un monde on se combine une multitude de réels factice. La frustration propre est toujours la faute d’une nature humaine que l’autre porte. Individuellement et parfois collectivement nous sommes les victimes idéales.
Il faut savoir échapper aux embouteillages de nos sentiments. Savoir avaler et digérer les déceptions. Il faut trouver la force de laisser la priorité par moment à l’autre. Faire le tri dans nos confusions et attentes afin que le réel que nous cernons soit apaisé. Nous n’avons qu’une vie, essayons de garder les yeux ouverts. Esquivons les bobards que les rois du marketing, les politiques et religieux fabriquent. Nous devons identifier l’utile et profiter du présent. Envisageons la paix des braves avec nos démons. Faisons du passé un référent propice à la résilience. Projetons-nous dans l’avenir par le biais d’un projet personnel ou commun. La clé qui ouvre cette porte vers l’homme meilleur, c’est le travail sur soi et le monde. Avec un ultime leitmotiv parvenir à se décentrer pour que l’égo nous porte et nous transforme positivement. L’illusion peut être un refuge et le réel une mascarade. A vraie dire peu importe, efforçons-nous d’être des lumières les uns pour les autres. Des symboles de force, de beauté et de sagesse. Des créateurs de liens et artisans de la transmission. Ce voyage qu’est la vie doit être vécue avec amour jusqu’au dernier souffle. La mort est une manifestation du réel dépouillée de toutes illusions à laquelle nul n’échappe. A nous d’en faire un passage et non une destination finale.