L'art
Je ne suis ni révolutionnaire et encore moins progressiste. Ne fronce pas les sourcils et ne plisse pas le front. Ne fait pas non plus la grimace. Je suis un agitateur de pensées et d’idées. Non pas pour convaincre, mais pour susciter et inviter à la réflexion. Profondément humaniste et intempestif, j’ose penser que l’art est dans tout et partout. Mes yeux et mes oreilles intérieures en sont convaincues. D’ailleurs son omniprésence est flagrante. Probablement depuis que l’homme interagit avec l’homme. Désolé, j’ai conscience que je viens d’ouvrir la boite de pandore tant le sujet est vaste et alambiqué. De plus considérons ma démarche comme une sorte de prémices ou d’apostille. Après tout le sujet est riche et incommensurable. Trois conditions ou capacités sont tout de même nécessaire pour pénétrer l’intime de la bête. Sachant qu’il ne m’appartient pas de définir si vous êtes aptes ou pas. Les clauses sont les suivantes : le discernement intellectuel, l’effort spirituel et la propension à aimer. Si vous ne répondez pas aux conditions soyez rassurés. Je ne pratique pas la discrimination ni l’ostracisme. Vous n’êtes pas disqualifiés pour autant. L’homme est un être capable en toute circonstance. Profitons de l’occasion pour évacuer la question de la condition humaine. La pyramide des besoins du psychologue Abraham Maslow ne s’applique pas ici, parce qu’on ne parle pas de motivations. L’art étant un outil de transmission par essence. Il s’adresse à tous les êtres sans distinction. Son appréhension, sa perception et sa compréhension peut différer selon les uns et les autres, mais comme le fait si bien remarquer RÛMI « les chemins diffèrent, mais le but est unique. »
Avec l’art il s’agit de nourriture de l’âme et d’unité d’esprit. Comme le stipule la charte du Mandé, « L’homme en tant qu’individu fait d’os et de chair, de moelle
et de nerfs, de peau recouverte de poils et de cheveux se nourrit d’aliments et de boissons ; mais son âme, son esprit vit de trois choses : voir ce qu’il a envie de voir, dire ce qu’il
a envie de dire et faire ce qu’il a envie de faire ». Un triptyque qui semble élémentaire mais, qui est à l’origine même de
l’art. L’homme est certes le géniteur, mais n’est pas le tout. De plus force est de constater que l’art a su s’émanciper et se répandre dans
tout. En somme l’élève a dépassé le maitre non pas pour devenir maitre. Il est devenu le souffle et le terme de la force créatrice qui habite chacun de
nous. Le meilleur de nous même se retrouve mis sur la table même si cette apothéose est fragmentée. L’art reste complexe avec une dimension à la fois
exotérique et ésotérique. A la fois accessible au plus grand nombre et destiné dans le même temps à des initiés. Ce qui explique l’anarchie mentale qui sévit
lorsqu’on en parle. Son double caractère objectif et subjectif en fait une espèce de fourre-tout. L’imbécillité et l’intelligence se regardant en chien de faïence et les
diverses sensibilités s’affrontant sans vergogne. Le réel peut y être harponné, mais le delirium aussi. Les symboles prospèrent et fusent comme des étoiles
filantes. Le lien au symbolisme est vital. L’un et l’autre ont une homogénéité invisible et sacrée. Ce qui lui confère une dimension
phénoménale sur le plan spirituel. D’ailleurs les religions ne savent pas s’en priver et s’en servent comme accélérateur de croyances.
L’art est comme un volcan en éruption dont jaillit du sens et propulse des enseignements en abondance. Il faut donc faire la part des choses, d’où le discernement intellectuel. Il faut intégrer la dimension ethnologique et historique. La question des multiples horizons se pose. Le patrimoine génétique et culturel doit être pris en compte. Sinon le sens et le message sont brouillés ou bien encryptés donc inaccessibles et incompréhensibles. Le regard et l’analyse de ce « petit prodige humain » comme le qualifie un proverbe chinois doit se faire avec prudence. Il doit être réfléchi bien qu’il puise sa force dans la sensibilité de chacun et chacune. Au-delà de l’instrumentalisation des religions, on ne peut nier la force de l’art pour mettre en lumière le sacré et l’au-delà. D’un point de vue non seulement esthétique et surtout métaphysique. Elle a su soumettre l’homme au questionnement dans le but d’en extirpé une volonté d’élever l’esprit. De faire le trait d’union entre matérialisme et immatérialisme. Le corps n’est qu’un point de départ, tandis que les possibilités sont infinies et que le réel est affable. La liberté est le sceau qui donne aux uns et aux autres le désir d’être en mouvement et d’être en quête de sens. L’effort spirituel ouvre la voie sur l’escarpé et l’unicité versus la différence et le chaos. Nul ne doit être dupe celui qui ignore l’amour ne peut y arriver. Il faut être capable d’aimer pour saisir la quintessence même de l’art qui est une invitation à toujours aimer quel que soit les circonstances. L’amour est l’essence de la force créatrice. Le moteur de notre humanité. Sans amour il n’y a pas d’art, car il n’y a pas d’espoir encore moins de visions. L’art est un appel à partager les visions d’un réel qu’il faut recomposer. Pièces par pièces tel un puzzle que seul l’amour peut faire fusionner. L’amour donne naissance au projet et impulse du sens. L’art le rend accostable. Rendant caduque la question de la différence en exaltant le sensible et l’intelligence du cœur que chacun de nous porte en soi. Un exemple qui à mon avis résume la portée des dires. La formation d’une chaine d’union est un chef-d’œuvre artistique qui allie avec merveille, la force, la sagesse et l’amour. Ceci à la fois symboliquement et concrètement. L’espace d’un moment nous sommes exemplarité.
La question que pose l’art est à la fois simple et complexe. Simple, car phénomène extraordinaire il est le fruit de notre création et offert en offrande à tous. Complexe, car l’art réunit ce qui est épars. L’art nous inculque que nous sommes capables de faire un. Bien que nous baignions dans un déni parfois conscient, soit scellé dans l’inconscient ou soit enfouis dans le subconscient. Dans le livre du dedans, le soufiste RÛMI évoque la sophistication de la nature humaine ainsi : « L'être humain est comme un étendard. On fait flotter le drapeau dans l'air, et ensuite, de chaque côté, comme Dieu le sait, on envoie au pied de cet étendard les armées de la sagesse, de l'entendement, de la colère, de la violence, de la patience, de la générosité, de la peur, de l'espoir, des expériences infinies et des attributs sans limites. Si quelqu'un regarde au loin, il voit l'étendard. Mais celui qui voit de près sait les joyaux et les subtilités qui existent là. » J’ai posé la question à ma fille Jade, 8 ans, artiste peintre en herbe. Pour toi c’est quoi l’art ? Elle a marqué une longue minute de silence et m’a répondu : « papa l’art c’est la vie ! ». L’observant en train d’aller se coucher, je me suis dit : « cela aussi c’est de l’art ». Ceci dit au-delà de mes pérégrinations intellectuelles l’art à mon sens est liberté. J’en fais la vérification lorsque je fais danser les mots sur la scène qu’est ma page vierge. Pourtant l’art reste une pâle imitation de la vie, mais ô combien nécessaire à nos vies. Quant à l’artiste, il est à mon avis, l’homme généreux qui veut partager une intime conviction avec celui qui veut bien.