Jeunesse sacrifiée

par Hugues COTE  -  16 Juin 2011, 14:11  -  #POLITIQUE

Elle habite Alger, Tunis, Varadeo, Gaza, Douala, Abidjan, Bogota, Kinshasa, le Caire, Port au prince et j’en passe.  En moyenne ils ont aujourd’hui 24 ans d’âge médian et sont des millions.   Quelques différences certes, mais voici leurs troncs communs : ils sont miséreux, éduqués et déshérités.  Ils, elles sont nés dans l’abâtardissement des valeurs humaines.  Des sociétés plongées dans la pénombre des dictatures, des pays en voie d’appauvrissement.  La précarité était déjà de mise et la désolation en voie de développement.  La sphère commune de citoyenneté a été fissurée au profit d’une violente ségrégation économique et sociale.   

 

A leur naissance, le premier cri poussé était prémonitoire d’une souffrance annoncée.  La première bouffée d’air était remplie d’injustice et sentait déjà le souffre.  Bienvenue en enfer, cette éclosion tenait du miracle vu le taux de mortalité infantile.  C’étaient des miraculés en enfer, cynique paradoxe dont regorge ces autocraties.  Qui avait invité ce morveux ? Surement pas les puissants.  Probablement des inconscients qui croyaient encore au père Noël.  Des parents bigleux pris dans l’euphorie de la procréation.  Ceux-là même qui était déjà des sous-fifres englués dans les sables mouvant d’un système pernicieux.  En ce temps-là, le nécessiteux avait le droit de rêver.  Favorisé par un analphabétisme et une ignorance presque congénitale.  Ils croyaient investir et produire de la richesse.  Après tout le produit, l’enfant n’avait qu’une bouche, mais surtout avait deux bras.  La contraception étant réservée aux nantis fornicateurs et à leurs chiennes.  Les pauvres ont débuté une production de masse.  Souvent encouragés par leurs malhonnêtes bienfaiteurs qui n’avaient pas mesuré les conséquences de la gabegie dans laquelle ils nageaient.  L’eldorado se portait bien.  Les aigrefins prospéraient, se voulaient généreux et rétribuaient les restes.  Très vite tout le monde participait à la tromperie sans jamais entrevoir la fin des vaches grasses.  L’élite n’avait qu’un agenda spolier son prochain.  Le pauvre rêvait d’une autre vie et les enfants symbolisaient cette espérance des jours meilleurs.  Au final, l’illusion n’engage que celui ou celle qui en abuse. Il faut savoir que rêver sous certains cieux tue.  Néanmoins, il est difficile de se savoir prisonnier d’un goulag à ciel ouvert.  Les chaînes et les barbelés étant invisibles parce que c’est l’intellect qui est captif.  Si nombreux dans le même bain, on se croit forcément dans la normalité.  Tandis que les petits malins poursuivent leurs jeux de massacres.  Les démunis pensent que demain sera un meilleur jour.

 

Le temps est passé et rien n’a changé.  Puis un matin, la crise a débarqué tel un lascar avec une certaine nonchalance. D’abord, timidement avec la venue du FMI et des plans de réajustements structurels.   En gros, c’était l’amorçage des fermetures des pompes à fric.  Les complices du nord manquaient de liquidités et informaient leurs condisciples que la fête allait être moins faste.  Mais ils mentaient, il ne fallait pas faire peur.  Il fallait pénétrer en douceur et ne pas réveiller l’apathique populace.  Puis enchainement de malheureuses circonstances comme les dévaluations de monnaies et les fluctuations des marchés.  Les déficits se sont creusés, les recettes ont chuté et la dette s’est transformée en goule.  D’un coup la galette s’est atrophiée et les parts ont maigri, mais pas l’appétit vorace des goujats.  Les miettes qui tombaient du ciel ont disparu, les charognards les avaient interceptées.  La crise s’est répandue comme le choléra et le mal s’est installé pour de bon.  La dictature s’est grossièrement maquillée en infâme oligarchie.  La misère a harponné les masses.  Les enfants de l’espoir étaient devenus ceux du désespoir.  Le mythe de l’ascenseur social a volé en éclat en même temps que les petits rêves tiraient leurs révérences.  La réalité allait être brutale et sans pitié.   Désormais pour survivre l’indigent allait mendier, tricher, voler ou se prostituer.  Peu importe le niveau d’étude, si vous apparteniez au camp des miséreux votre destin était scellé.  Sans travail et sans ressource, vous ne serez rien, même pas un homme et parfois même pas une chose.  Des hommes et des femmes traités comme des parias par des bêtes sauvages.  Des demi-dieux qui à tout moment ont droit de vie ou de mort sur n’importe qui.  Voilà comment la vie gâchée a été inoculée voir forcée dans une jeunesse lettrée.

 

Les autorités ont embrouillé les esprits et broyé les mémoires.  Ils ont phagocyté leurs ambitions au point de les vidés.  Ils sont réduits à l’état de zombies.  Leur force créatrice a été piétinée. La résilience a été violée sans arrêt, d’infernales tournantes.  Le temps a perdu de son sens, à quoi bon ils en ont été exclus.  Comme des chiens en cage, ils sont matés et humiliés sans relâche.  A la moindre contestation, ils sont bastonnés par leurs frères qui ont eu la chance d’intégrer les forces armées.  Les sbires de l’état sont la nouvelle classe moyenne.  Formaté et embrigadé pour perpétuer le mal.  Ils servent le riche même à leurs détriments, n’hésitant pas à tirer sur leurs propres familles.  Le darwinisme est à son firmament, seul le plus dégueulasse survivra.  La cruauté abîme le mental.  La corruption ronge les ambitions.  L’impunité attise les colères. Le jeune devient un animal sans projet.  Il gêne et dérange puisqu’il aspire seulement à un peu de vie.  Les pays du nord sont des paradis à leurs yeux.  Ils sont éduqués et connaissent la valeur des choses.  Ils savent ce que leurs parents ignoraient.  Ils connaissent leurs bourreaux.  Ils sont conscients que le gâchis est incommensurable.  Ils en ont marre de souffrir, de subir et de nourrir les vices d’une minorité.  Ils ne savent plus prier, car les prières ont été vaines.  Ils ne veulent plus supplier pour ce qui leur revient de droit.  Quitte à mourir à petit feu, ils préfèrent mourir d’un coup.  Peu importe la manière, le feu, la matraque ou la balle. Ils veulent en finir avec le despotisme et la douleur.  L’infamie des abus et la détresse a décalcifié leurs dedans.   

 

Cette jeunesse est souillée et écartelé.  Leurs énergies sont acidifiées et vampirisées par des vauriens.  On exacerbe leurs courroux en leur imposant la médiocrité.  Les héros ont été troqués par des voleurs d’âme, des pantins sans intériorité.  Leurs vies ne valent rien et la poisse leurs collent à la peau.  Ils ont le droit de garder le silence tandis que leurs ventres crient famine.  Les âmes agonisent tandis que le corps devient une machine à endurer l’insoutenable.  La dignité a été expulsée des têtes. On les oblige à ramper comme des cancrelats.  Ils marchent et vivent la tête basse de peur de subir la colère de l’usurpateur.  Ce damné qui dispose de leurs quotidiens.  Ce geôlier qui les confine a l'isolement permanent.  Ce tortionnaire qui joue avec leur nerf et mutile leurs consciences.  Cette jeunesse tyrannisée par des pratiques qui relève de la barbarie.  Ils sont maudits et la rédemption ne viendra jamais.  Ce sont les oubliés, les ignorés et les laisser pour compte.  Le sens de leur vie s'envole au lever du soleil et ne revient que pendant le sommeil pour chassé les cauchemars.  On les pousses vers les drogues et l’exode comme échappatoire.  Le projet est imaginaire au mieux circule dans les égouts sur la lie d’eau usée en compagnie des rats.  Être pauvre n'est plus fatalité, mais inscrite dans les gènes elle devient pathologique.  Une maladie héréditaire dont on ne guérit pas.  Ils doivent se soumettre, car ce sont des intrus, ils n’ont pas été invités.   Après tout il y a plus grave qu’être pauvre ou en voie de dépérissement.  Ils pourraient être morts.  Quand la vie humaine est autant vilipendée, l’humanité recule.  Le centre de gravitation est passé de la terre au ciel.  On marche sur la tête.               

 

 

Les références ont été gommées et la vérité mise à mort.  La corruption est devenue valeur première voir matière première pour une piètre survie.  La règle est devenue passes droits et abus de pouvoir. Le racket en tout genre est devenu monnaie courante.  Je comprends donc leurs réactions de révolte.  Ils n’ont rien à perdre, d’ailleurs ils n’ont jamais rien eu que de la poisse.  La force du nombre faisant et l’intolérable devenant insupportable.  Ils ont crié assez !  Ils ont crié comme des joueurs de poker « banco » ou « all in » aux régents.  Aujourd’hui, il faut mettre carte sur table et prendre ses responsabilités.  Raison pour laquelle la colère se répand comme de la fumée.  Ils assument le désir de vivre libre ou mourir.  Ils symbolisent le refus d’un capitalisme débridé et inhumain.


 Ils sont la preuve que leurs dirigeants bénéficient de notre complicité.

 Ils sont la preuve qu’une génération peut être sacrifiée sur l’autel des inégalités.

 Ils sont la preuve que le monde ne tourne pas rond.

 Ils sont la preuve que la résilience est une arme de destruction massive.

 Ils sont la preuve que l’homme à besoin d’amour.

 Ils sont la preuve que l’homme doit être au centre du projet.


Il convient par ailleurs de mesurer la portée d’un acte comme l’immolation par dépit.  Cet homme qui brûle, c’est une partie de notre âme qui part en fumée.  Il s’est enflammé pour dénoncer et carboniser la malédiction qui pèse sur sa génération.  Il est devenu la torche vivante qui veut embraser partout l’arbitraire une fois pour toute.  Bien entendu la révolte doit accoucher d’un projet, sinon c’est un coup pour rien.  Un vulgaire coup de bâton dans de la merde comme le dit très bien un proverbe africain.

 

 

Ils sont la leçon du XXIème siècle, avec l’allongement de l’espérance de vie et l’explosion démographique.  Chaque génération est en droit d’avoir sa place, d’apporter sa contribution et d’avoir un avenir.  Ceux qui jouent avec les antagonismes liés aux conflits intergénérationnels se trompent.  Ceux qui veulent exclure en pratiquant un jeunisme ou un âgisme sont des casseurs de liens.   C’est des ignorants de l’ordre des choses et de la vie.  La terre et ses richesses doivent être partagées par tous les hommes, sinon un jour le chaos régnera.  Contrairement à ce que pensent certains, ni eux et encore moins la famille humaine ne veulent pas vivre l’Armageddon.

Enfin cette indignation a mis en lumière la force de la liberté, mais aussi surtout son coût.  La liberté n’est ni virtuelle et encore moins gratuite. 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
M
Ce texte m'a laissée essoufflée, bouche bée tant il est criant de vérité! Merci de l'avoir écrit car il exprime par des mots justes tous les maux de notre jeunesse! je suis mère de Jeunes et je constate avec effroi autant que d'impuissance que cette jeunesse, si prometteuse a été en effet sacrifiée sur l'autel de la ségrégation économique et sociale, dans une société corrompue dans laquelle les valeurs morales ont disparu.Ils souffrent c'est évident ,ils ont du mal à exister...Et nous parents, adultes, éducateurs souffrons avec eux, sans voir poindre à l'horizon un infime espoir d'amélioration.Merci
Répondre
H
Merci beaucoup