Et si ...

par hugues cote  -  28 Juin 2011, 15:55

Et si j’étais l’habitant de la ville de Fukushima au moment de la tragédie. Si ma famille avait survécu aux séismes et à l’infernal tsunami.  Si les miens et moi-même avions été les témoins traumatisés de l’évacuation de 590000 concitoyens en trois jours.  Si nous étions de ceux qui sont restés calfeutré dans les maisons alors que la centrale crachait son poison.  Si nous avions compris qu’on était pris au piège, fait comme des rats.  La radioactivité était désormais la pieuvre dont les tentacules avaient tout empoisonné.  Si l’air, la terre, l’eau, les animaux et nous-mêmes devenions minute après minute radioactif.  Si au fil de l’eau vous vous rendiez compte que vos malheurs ne sont pas le seul fait de la nature, mais surtout le fait de la cupidité et de l’imbécilité humaine. Si  vous viviez comme nous en direct le cynisme des charognards de la finance, profitant du sinistre pour faire des profits et rançonner les survivants. Si comme nous vous saviez que désormais vous étiez en sursis et que des souffrances atroces feraient partie du quotidien.  Si d’un coup vous comprenez que vous êtes dans le couloir de la mort et que la vie vient de changer de sens.


                Avec des si on mettrait Fukushima en bouteille dira l’impudent.  Pourtant, ici l’enjeu est de se mettre à la place de l’autre.  Ceci pour dépasser une empathie qui est bien trop insuffisante face ce drame humain.  Nous sommes tous des habitants de Fukushima, sauf que ce jour-là nous étions ailleurs probablement en villégiature.  Ce ne sont pas des surhommes, mais des hommes comme vous et moi.  Leur dignité est la même que celle du peuple Haïtien pourtant dans certains cas elle peut être dérisoire.  Maintenant que les caméras furtives sont braquées ailleurs je ne cesse de m’interroger.  Comment fait-on face à l’irréparable et à quelle posture peut-on prétendre ?  Comment réagit l’innocent condamné à mort ? Comment fait-on pour contenir l’implosion de son humanité ?  Quel sens peut-on donner à sa vie sachant que le temps est compté ? Cet homme est-il l’homme de demain, ou désormais  un homme sans lendemain ? Que deviendra l’homme qui vient de voir son monde entier irradié ? L’instinct de survie fera-t-il de lui un mutant ou au pire un géniteur de mutants ?  Sachant que sa famille, ses amis, son environnent et même son urine sont maculés.


                Quel regard cet homme peut-il avoir sur un monde occupé ailleurs et qui l’ignore ?  A quel humanisme peut-il amarrer son funeste destin ?  Peut-il dire à sa fille enceinte qu’elle porte un enfant ou un mutant ? A sa femme qui porte déjà des cloques sur le corps, comment va-t-il la conforter ?  La question du lien à l’autre se pose et la nature de notre humanité doit être explorée.  L’irradiation qu’elle soit globale ou partielle peut importe puisqu’elle condamne aussi bien l’intériorité que le corps au plus profond.  Et quand bien même un échapperait aux effets à seuils, il y a les effets aléatoires.   Maladies à profusion comme le cancer ou la dégénérescence des cellules presque garanties.  J’extrapole, mais en réalité personne ne sait et c’est bien là le comble du malheur.  Les apprentis sorciers soient n’ont pas assez cherché ou tout simplement pensaient que la vie humaine ne vaut pas la dépense.  Procès d’intentions penserons certains, je rétorquerais simple constat mon cher Watson.  Les hommes, femmes et enfants de Fukushima sont des victimes et il ne faut pas se tromper nous serons les prochains un de ces quatre.

 

                C’est la vie qui vient d’être volée à des milliers de personnes.  Ils sont pourtant loin des yeux et loin du cœur, mais les centrales sont près de nous.  Un jour on pourrait être à leur place et ce jour-là comme eux les larmes seront inutiles.  L’homme doit un jour mourir, mais partir à petit feu dans l’affliction n’est pas son destin. A l’occasion l’homme sait mourir dans la dignité or cette contamination vous pourrit tant psychiquement que physiquement.  L’homme veut mourir quand il sait que sa progéniture continuera le voyage.  Il n’y a pas pire pour un parent d’enterrer un enfant, car il dit adieu à l’œuvre de sa vie.  Ce début de XXIème siècle est particulièrement violent, néanmoins il semble nous rappeler que quoi qu’on pense ou fasse que l’humanité est une et nos destins sont liés.  On peut essayer de fermer les yeux, de changer de sujet, mais un jour on sera l’homme de Fukushima. Et si on n’était pas tous nombrilistes on imposerait à nos politiques que plus jamais ça n’arrive nulle part dans le monde.  C’est une sorte de prémices à la disparition de l’humain à laquelle nous avons assisté.  Là où l’homme ne peut plus vivre c’est le début de la fin.  Et si j’étais cet homme je ne suis même pas sûr de savoir qui je serais encore moins ce que je ferais.  Et c’est bien triste d’être un homme sans espoir.

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